Parmi les indicateurs de consommation excessive d’alcool, certains sont relativement absurdes. On entend par exemple que si l’on boit seul ou si on a des pertes de mémoire après avoir bu, c’est que l’on a un problème d’alcool. Honnêtement, je doute qu’il y ait un seul buveur sérieux sur la planète qui n’ait pas souffert un jour d’une perte de mémoire plus ou moins grave induite par la consommation d’alcool, à moins qu’il ne fasse partie des rares personnes mesurées qui n’ont jamais bu déraisonnablement. Quant au fait de boire seul, une personne qui prend un ou deux verres devant la télé un ou deux soirs par semaine n’a probablement pas autant un « problème d’alcool » qu’une personne qui boit à outrance tous les soirs avec des amis (ou des connaissances) dans le pub ou le bar du coin.

La consommation d’alcool matinale est un autre de ces indicateurs, souvent cité comme le symptôme d’un problème d’alcool. Pour autant, cela ne signifie pas que si l’on prend un verre le matin lors d’un mariage, à Noël, ou à l’aéroport avant de partir en vacances, on a un problème d’alcool.

Comme vous pouvez le voir, tous ces soi-disant symptômes de consommation problématique sont très subjectifs. Cela dit, je pense que boire le matin, à défaut d’être systématiquement le symptôme d’un problème d’alcool, peut être un tremplin non négligeable vers l’alcoolisme chronique.

Mes propres « boissons du matin » étaient en fait des boissons du milieu de la nuit. Lorsque j’étais dans une phase de consommation d’alcool, je me réveillais toujours à 3 ou 4 heures du matin, anxieux et totalement incapable de me rendormir, alors même que j’étais au bout du rouleau. Je restais allongé, les yeux grand ouverts le reste de la nuit, et me levais encore plus anéanti le lendemain matin. Je sais maintenant que la raison en était simplement que mon cerveau avait sécrété des stimulants naturels pour contrer les effets dépressifs de l’alcool, et après quelques heures, lorsque l’alcool était évacué de mon corps, les stimulants restaient, et me rendaient nerveux et insomniaque (pour plus de détails à ce sujet, voir le chapitre 2 de Alcohol Explained (l’alcool expliqué), que vous pouvez lire ici). Tout ce que je savais à l’époque, en revanche, c’était qu’en buvant, j’allais passer une nuit insupportable.

Bref, un jour, je lisais un livre (je pense que c’était Ça, par Stephen King) et l’un des personnages gardait une canette de bière à boire dans la nuit quand il se réveillait avec la gueule de bois, afin de se rendormir. Alors un soir, j’ai essayé. L’effet était stupéfiant.

Un seul verre, et le sentiment de nervosité et d’anxiété s’était envolé, remplacé par une impression de calme et de contentement et, surtout, de somnolence. Je suis allé me ​​coucher et me suis rendormi tout de suite.

Mais il y avait un problème, que tout buveur rencontre tout au long de sa vie de buveur : on a besoin d’une quantité d’alcool toujours croissante pour obtenir le même effet. La première fois que j’ai bu un verre le soir, j’avais besoin d’un seul verre pour me sentir calme et satisfait, et pouvoir me rendormir, mais je n’ai pas tardé à avoir besoin de deux, puis trois, puis quatre verres. Et ainsi de suite.

La raison physiologique est assez simple. Si l’on boit une quantité substantielle chaque soir, le cerveau prépare son stock de stimulants à sécréter. Alors que si l’on boit un verre le matin (ou pendant la nuit, en l’occurrence), le cerveau n’est pas prêt, il n’a pas de stimulants pour compenser l’effet dépresseur de l’alcool : alors, un verre suffit. Mais le cerveau apprend vite. Rapidement, il commence à créer de plus en plus de stimulants, et les prépare matin, midi et soir, chaque fois que vous buvez un verre.

Donc, si on boit un verre le matin juste pour se débarrasser du plus gros de la gueule de bois, cela peut bien fonctionner, mais en un rien de temps, un verre deviendra deux, puis trois, puis quatre, et bientôt, on se retrouve avec une consommation d’alcool matinale qui sert juste à se lancer pour la journée.

C’est exactement ce qui m’est arrivé lorsque ma consommation d’alcool nocturne est passée de un à deux, puis trois, puis quatre verres, et ainsi de suite. Le problème est que ce n’est pas seulement la quantité de boissons qui augmente, mais aussi le temps qu’il faut pour les boire. L’augmentation se produit progressivement (tout comme la consommation d’alcool) et comme toujours, on se rend un jour compte de combien la situation s’est détériorée. C’est un constat violent. Nous traversons tous des moments de déprime, nous finissons tous par toucher le fond. Si vous me ressemblez un peu, des périodes de déprime, vous n’en manquerez pas. Lors de l’une des pires pour moi, je me suis réveillé au milieu de la nuit dans un état d’anxiété intense. Incapable de me rendormir, je me suis levé et suis allé boire sur le canapé. Quand je me sentais assez somnolent pour retourner me coucher, j’ai entendu le réveil-matin sonner, et me suis rendu compte que j’étais complètement ivre, si fatigué que j’arrivais à peine à garder les yeux ouverts. Et bien sûr, une journée complète de travail se dressait devant moi.

Aujourd’hui, j’ai discuté avec une connaissance et lui ai dit que j’avais arrêté de boire. Elle m’a demandé si la boisson me manquait. Me manquait ? C’est tout le contraire : je n’en reviens toujours pas d’y être arrivé, et de la joie que cela procure. Je remercie simplement ma bonne étoile d’en être sorti, et d’avoir eu les connaissances et les ressources nécessaires pour le faire.

One Response

  1. Bonjour, je suis dans cette situation,
    Après une séparation compliquée et l’hiver venant de plus invalide, j’ai sombré, dès le matin, je bois un Ricard pour attaquer la journée et ca depuis quelques jours.
    La solitude y est pour beaucoup, je suis de nature deja très anxieux, j’ai adopté un chat pour compagnie mais sans violence, j’ai tendance a l’envoyer balader dès qu’il se gratte la nuit. Ce n’est pas dans ma nature d’etre agressif mais un rien m’enerve, qu’en pensez vous ? Solitude, séparation dépression invalidité et alcool me font toucher le fond…

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